Programme des Journées académiques 2023

1ère journée – Jeudi 9 février 2023 (Lycée Bellevue)

I – Matinée

 8h30 : Ouverture des journées par Monsieur Alger, Proviseur du lycée Bellevue.

 9h00 : Conférence 1

 Franck Lelièvre, IA IPR de philosophie

Montaigne et l’invention du scepticisme moderne

L’apologie de Raymond Sebond est un essai majeur qui contient l’exposition systématique du scepticisme de Montaigne. L’auteur s’y livre à l’apologie paradoxale de la Théologie naturelle du théologien catalan dont il a traduit l’ouvrage car il en réfute les deux fondements. Selon Sebond, l’étude de la nature devait conduire à la connaissance de Dieu et notre raison est un guide fiable pour nous guider en cette vie et dans l’au-delà. Pour Montaigne, « nous avons, pour notre part, l’inconstance, l’irrésolution, l’incertitude ». Montaigne, dans son essai, travaille longuement et méticuleusement, dans un texte à l’architecture complexe, à nous convaincre de la « dénéantise de l’homme ». Il conclut son propos sur un constat sans appel et désespérant : « tout cette humaine nature est un milieu entre naître et mourir ». Sebond est-il définitivement oublié ? S’agit-il aussi d’un retour et d’une reprise du pyrrhonisme antique qui nous promettait la pure « quiétude » (« l’absence de trouble »), le silence (la « suspension de l’âme ») et la paix ? Montaigne, au contraire nous propose l’inquiétude et l’interrogation, le mouvement et les discours. En réalité, Montaigne invente un usage nouveau du scepticisme qui fait de la croyance (comme crédulité et comme jugement) et de la vie (comme instinct et comme mouvement) le centre de la « condition humaine ». Il réalise ainsi cette « science de l’homme » que promettait Sebond.

10h15 : Collation offerte par le lycée à l’ensemble des participants adultes

11h00 : Conférence 2

 Pierre Rodrigo, professeur émérite de philosophie Université de Bourgogne (Dijon, France)

 Portrait de l’historien en prophète du passé

 On lit dans les Fragments de Friedrich Schlegel cet aphorisme paradoxal : « L’historien est un prophète tourné vers le passé ». Or, si prophétiser signifie « énoncer par avance », comment l’historien pourrait-il prophétiser le passé ? Quelle valeur accorder à cette étrange thèse : est-ce simplement une métaphore issue de l’imagination fertile des romantiques allemands, une image teintée de mysticisme, ou bien ce portrait paradoxal de l’historien-prophète jette-t-il quelque lumière sur ce que Marc Bloch nommait « le métier d’historien » ?

Toute prophétie se veut salvatrice. Dès lors, de quoi l’historien chercherait-t-il à sauver l’histoire ? En premier lieu, de l’évidence trompeuse des « faits » et de l’idéal d’objectivité qui lui est lié : on montrera que la connaissance historique implique nécessairement une interférence entre la subjectivité (de l’historien) et l’objectivité (de l’histoire), et que c’est ainsi, et ainsi seulement, que l’historien sauve le passé (H.-I. Marrou, R. Aron). Il peut certes sembler étrange qu’il faille dissoudre l’évidence des faits, des décisions et des actes qu’on dit usuellement « historiques » pour accéder à la connaissance de l’histoire, mais c’est la condition sine qua non d’existence de toutes les sciences humaines : chacune doit constituer son objet en dissolvant les évidences factuelles qui l’entourent de toutes parts. Constitution et dissolution sont les deux faces du processus de libération de l’objet véritable, lequel n’est jamais donné mais toujours construit – construit ici par l’historien (P. Ricœur, P. Veyne).

Dès lors, si l’historien sauve le passé, c’est en le reconfigurant au présent ; c’est son rôle de prophète paradoxal. Surgit alors une foule de questions : le passé est-il ainsi sauvé ou n’est-il pas plutôt perverti, utilisé à des fins actuelles qui en trahissent le sens ? En d’autres termes, le soupçon qui se fait jour est celui d’affabulation, de fable ou, pire, de tromperie, de récit idéologiquement orienté au fil duquel la prophétie de l’historien se révèlerait être un outil d’oppression… Questions décisives qu’il faudra aborder.

12h15 : Déjeuner libre

 

II – Après-midi (14h30 – 17h) Amphi de Bellevue

 

14h30 : Conférence 3

 Agnès Pigler, professeure de chaire supérieure, lycée de Bellevue

Communauté et société chez Ferdinand Tönnies.

Cette conférence se propose d’analyser deux concepts propres à Ferdinand Tönnies : celui de la Gemeinschaft et celui de la Gesellschaft. Ce sont les deux modes de groupement que l’on observe chez les hommes, les deux formes de la vie sociale. Cette analyse se propose donc de caractériser chacune d’elles et de déterminer leurs rapports.

La Gemeinschaft, c’est la communauté. Ce qui la constitue, c’est une unité absolue qui exclut l’individuation des parties. Un groupe qui mérite ce nom n’est pas une collection même organisée d’individus différents en relation les uns avec les autres ; c’est un organisme compact qui n’est capable que de mouvements d’ensemble, que ceux-ci soient dirigés par le corps lui- même ou par un de ces éléments chargé de le représenter.

La Gesellschaft, la société, implique un cercle d’hommes qui, comme dans la Gemeinschaft, vivent et habitent en paix les uns à côté des autres mais, au lieu d’être essentiellement unis, sont au contraire essentiellement séparés, et tandis que dans la Gemeinschaft ils restent unis malgré toutes les distinctions, ici ils restent distincts malgré tous les liens.

Nous aurons donc ainsi à cœur de comprendre comment, dans la composition de la Gemeinschaft tout est organique, et pourquoi dans la Gesellschaft tout est mécanique. C’est cette différence essentielle, d’où dérivent les autres, qu’il nous faudra questionner.

 

 

2ème journée – Vendredi 18 février 2022 (Lycée Bellevue)

 

III – Matinée (9h-12h) Amphi de Bellevue

 9h00 : Conférence 4

Dominique Demartini, professeur agrégé, professeur en classe préparatoire du lycée Bellevue, Fort de France

L’harmonie des langues dans la pensée de Leibniz 

Pour Leibniz, l’harmonie qualifie à la fois la structure métaphysique de l’univers et la forme que prend son expression dans la philosophie. Autant dire que son oeuvre apparait elle-même cohérente et harmonieuse.

Pourtant les choses apparaissent plus complexes si l’on prend le temps d’examiner une harmonie bien particulière et sa place dans la pensée de Leibniz : l’harmonie des langues. 

Comment peuvent bien s’articuler les travaux sur l’origine des langues, le  projet de langue universelle et la défense de la langue et de l’identité allemandes ?

En quoi le concept d’harmonie permet-il de saisir l’unité de travaux si différents et même, en apparence, contradictoires ?

 

10h15 : Collation offerte par le lycée à l’ensemble des participants adultes

 

11h00 : Conférence 5

 Julien Chane-Alune, professeur agrégé, professeur en classe préparatoire du lycée de Bellevue, Fort de France

Faut-il réhabiliter les utopies ?

 Les utopies n’ont plus bonne presse. Revendiquant pourtant félicité et prospérité pour toute une société, elles sont peu à peu devenus au cours du 20e siècle des images glaçantes du totalitarisme le plus inhumain. Ce renversement s’opère dès 1932, avec le roman d’Aldous Huxley, Le Meilleur des mondes, qui montre qu’à vouloir faire le bonheur des gens malgré eux, elles constitueraient en réalité des machines à broyer les individus. Dans la culture populaire, elles ont laissé place à une multitude de dystopies plus ou moins désespérées, témoignant d’une impossibilité, désormais, à imaginer sinon un monde meilleur, du moins un autre modèle de société désirable.

Devons-nous alors condamner définitivement le principe même de l’utopie ? Les utopies ne sont-elles plus que des modèles obsolètes, parfois fascinants, mais dont il faudrait pourtant et à tout prix se méfier ? Au croisement de la sociologie et de l’anthropologie, il va s’agir d’analyser et de mieux comprendre ce qui constitue le principe utopique, et les raisons de son rejet aujourd’hui. Nous tenterons alors de déterminer si, ce faisant, nous n’avons pas jeté, avec le pire, le meilleur de ce que l’esprit humain est capable d’inventer.

 

12h15 :  Déjeuner libre

 

IV – Après-midi (14h30 – 16h) Amphi de Bellevue

 

14h30 : Conférence 6

Daniel Pujol, professeur agrégé, professeur en classes préparatoire du lycée Frantz Fanon, Trinité

La société c’est la guerre

Michel Foucault s’est toujours défendu de vouloir élaborer une « théorie du pouvoir » et a souvent exprimé sa méfiance vis-à-vis de toute « philosophie politique ». Davantage préoccupé, à la manière nietzschéenne, par la généalogie des discours et le renversement des « idoles de la tribu » (Francis Bacon), que par la construction d’un système ou la constitution d’un savoir positif, il s’installa stratégiquement entre philosophie et histoire pour subvertir les deux. Ironiste de génie, il se décrivit en « empiriste aveugle ». Et de se demander publiquement si son œuvre n’a pas essentiellement consisté « à inventer des fictions ».

En espérant ne pas trahir l’esprit de son auteur, nous voudrions traiter ici de l’une des plus célèbres de ces « fictions » : le biopouvoir.

Entre son esquisse sous les formes du « pouvoir disciplinaire » et du « panoptisme » dans Surveiller et punir (1975) et son élaboration dans La volonté de savoir (1976), Michel Foucault donna un cours au Collège de France publié sous le titre Il faut défendre la société. Il y constituera la généalogie du biopouvoir en une série de propositions qui peuvent apparaître comme autant de provocations. La société ne trouve ni son origine ni sa justification dans le discours philosophico-juridique du contrat et de la souveraineté mais dans la pratique historico-politique de la guerre. Cette guerre est d’autant plus radicale qu’elle s’impose en « guerre des races » mobilisant savoirs et pouvoirs comme stratagèmes. Le passage, entre l’Age classique et le Siècle des Lumières, du pouvoir souverain « qui fait mourir et laisse vivre » aux pouvoirs sur la vie, le biopouvoir « qui fait vivre et laisse mourir », augure de formes inédites d’assujettissement des hommes et de leur vie sociale.

Après avoir tenté de définir le biopouvoir, nous aimerions explorer quelque peu ces provocations.