« Ce soir, tandis que j’écris, la Pelée est plus lourdement coiffée que d’habitude. Sa coiffure est faite de nuages pourpre et lilas, magnifique madras* que le couchant strie de jaune. La Pelée est parée de son costume de fête comme une câpresse* habillée pour un baptême ou un bal, et, dans son turban fantôme, une étoile scintille en guise de broche. »
Lafcadio HEARN, « Two years in the French West Indies »,1890 (2)
L’origine d’un nom
Le nom « Morne Rouge » se retrouve assez souvent dans les Antilles Françaises du moins dans les îles des Antilles ayant appartenu à la France. On retrouve en effet un village appelé Morne Rouge au nord de la Basse Terre de Guadeloupe, sur la côte sud de l’île anglophone de Grenade ainsi qu’au sud ouest d’Haïti. Mais nulle part ailleurs qu’en Martinique ce nom n’est aussi significatif… Il n’a pourtant pas toujours été le nom de la commune qui, jusqu’en 1889, est considérée comme un quartier de St Pierre, le « Quartier des Etages »…
Le « morne » : la montagne Pelée
Le mot morne est apparu au milieu du XVIIe siècle dans la langue créole des Antilles. Il rentre dans la langue française au XVIIIe siècle. Le mot est peut être issu- tout comme le mot « créole »- du portuguais « morro » qui désigne une butte (1).
Un rapport du conseiller Boutin au Gouverneur de la colonie de la Martinique daté d’octobre 1929 et qui fait suite à l’activité éruptive récente du volcan, donne des détails assez significatifs quant à l’origine probable du nom:
« Noux croyons être certains de n’avoir trouvé nulle part de trace de magna neuf. Nous avons vu des morceaux d’andésite rouge et surtout gris vert à teinte cendreuse.
L’andésite rouge constitue un pan complet d’éboulis à gauche du cratère de la seconde éruption, cratère aujourd’hui fermé. Ses reflets au soleil couchant laissent fréquemment supposer à la population que de la roche en fusion coule du dôme.. ».(3)
Il y a donc au fond, une croyance populaire et l’activité éruptive irrégulière et brutale de ce type de volcan entre certainement pour beaucoup dans ce travail de mémoire. Dans ces cas là, la légende tient souvent lieu de science…
Le « rouge » de la terre
« Et vous remarquez alors que le sol change de couleur: il prend une teinte rouge… » note Lafcadio HEARN se dirigeant vers le nord de l’île dans son « Voyage d’été aux tropiques »(2).
Cette remarque repose sur un fait. La couleur des sols est bien à l’origine de ce nom. Roche d’origine volcanique, très répandue en Amérique du Sud, l’andésite constitue la quasi totalité du substrat rocheux des sols péléens. Or cette roche souvent sombre et grise se dégrade ordinairement en argile rouge et jaune. Ce qui en passant est aussi à l’origine de l’acidité des sols (ph 4 à 5). En fait les sols du Morne Rouge sont essentiellement des sols à allophanes (mélange bleu-vert de silice et d’alumine) composés de sables andésitiques, de pierres ponces perméables et surtout de limons de couleur beige et jaune…(4)
Ajoutons que l’activité volcanique récente de la Pelée a souvent laissé des traces sous la forme d’émanations sulfureuses et d’oxydes de fer que l’eau transporte sur les éboulements d’andésite. Ce qui a pour conséquence de laisser apparaître sur la montagne de grandes traînées rougeâtres en particulier dans le lit rocheux des chutes d’eau.
Lexique:
*madras: du nom du port indien d’où sont venus les travailleurs et avec eux, le tissu du même nom au milieu du XIXe siècle. Aujourd’hui tissu traditionnel des Antilles fait de motifs quadrillés de couleurs vives à dominante rouge et jaune.
*câpresse: terme créole désignant une femme métisse de noir(e) et de mulâtre(sse) [le mulatre(sse) est un(e) métis/se d’un homme blanc et d’une femme noire].
Notes:
(1) Annegret BOLLEE, Dictionnaire étymologique des créoles français de l’Océan Indien, Buske Verlag, 1993, p 234
(2) Lafcadio HEARN (trad.Marc LOGE), Aux vents caraïbes, Hoëbeke, Paris, 2004, p47, p129
(3) Archives Départementales de la Martinique, Délibération du conseil général de la colonie, 1929
(4) Jacques PORTECOP, Phytogéographie, cartographie écologique et aménagement dans une île tropicale. Le cas de la Martinique, 1978, thèse , Université scientifique et médicale de Grenoble, dir. M.OZENDA.